Rouges David Cohen Peintre, Psychiatre d’enfant et d’adolescent Rouge 1 La peinture fait partie de ma vie depuis mon plus jeune âge. Mes souvenirs sont parfois un peu flous mais je me rappelle très exactement mon anniversaire de 4 ans. Nous venions de déménager dans un nouvel appartement au troisième étage d’un immeuble bourgeois de la fin 19ème en pierre de taille, et mes parents avaient invités un tas de monde. Deux cadeaux sont restés gravés dans ma mémoire : le pull vert kaki de Rosa, une amie de ma mère, et une boite de couleurs à l’huile avec un carton encollé. C’était la première fois et j’y ai pris tout de suite goût. Après la mort de mon père – j’allais avoir 7 ans – les adultes ont du pensés que « s’exprimer par la peinture » devait me faire du bien. Alors je recevais toutes sortes d’encouragements : couleurs ou toiles offertes, commandes personnalisées, visites de musée ou d’exposition. A l’époque, ma série la plus féconde regroupait des portraits d’indiens sur fond violet très franc, juste de l’outremer mélangé à du vermillon. Je m’identifiais à leur statut de peuple opprimé par l’histoire et l’ignorance. Je savais tout d’eux : leurs traditions, leurs diversités, leurs tribus… Moi l’orphelin qui comme eux avait du faire face à l’injustice et à la culpabilité qu’elle imprime à l’enfant : il ne sait pas pourquoi les choses arrivent et il se demande s’il n’y est pas pour quelque chose. La pensée magique, il y croit. Les pensées furtives ou les fantasmes sont encore presque réels à cet âge. A cette époque, en quelque sorte ma préhistoire à moi, le rouge était totalement absent de ma peinture. Est-ce une couleur qui fait peur à l’enfant ? Pourtant j’ai toujours aimé les couleurs. Même aujourd’hui je me considère avant tout coloriste et très peu dessinateur. Je suis même un piètre dessinateur. J’en avais conscience dès petit surtout lorsque j’essayais de copier des reproductions de toiles de maitres. J’en ai fait même une sorte de complexe qui m’a conduit à décider d’arrêter la peinture pendant mon adolescence. Je me suis mis au basket, à la guitare classique – une très belle expérience – et me suis engagé dans des études de médecine tout de suite après le bac conformément aux vœux que je m’étais fait après la mort de mon père. Il était mort d’un cancer ; je serais cancérologue. Finalement, j’ai opté pour la psychiatrie de l’enfant. Alors le rouge dans tout ça ? Le rouge arrive comme un commencement ou plutôt un retour vers la peinture. En effet, deux évènements m’ont amené à reprendre la peinture. Evénements est un bien grand mot puisque ils n’ont de sens que pour moi. Moments de vie signifiants, devrais-je dire. Le premier est un diner. C’était pendant l’un de mes premiers séjours à Rome chez ma tante Liliane, une des sœurs de ma mère. Elle m’avait emmené chez une copine à elle avec qui elle travaillait. Devant moi, il y a avait une reproduction d’un portrait de jeune fille de Miro. Ce portrait m’a habité toute la soirée et bien après. Il m’a convaincu qu’on pouvait faire du beau, du poétique avec des couleurs sans savoir dessiner, ou si peu. Je n’ai compris cela que bien plus tard lors d’une exposition Paul Klee et la musique qui avait lieu au Centre Beaubourg à Paris. La, j’y lus les propos que Klee tenait après son voyage en Tunisie et sa découverte de la couleur. Expérience que d’autres avaient fait avant lui ; Delacroix au Maroc. Moi c’était Miro en affiche lors d’un diner. Après il y eut aussi, Kandinsky, De Koenig, Rothko, Pollock, Shiraga Kazuo… Le second évènement, ou moment de vie signifiant, est une lecture. Il s’agit du commentaire de l’alphabet hébraïque par un rabbin du moyen âge, Rav Yehuda Halevi. J’ai d’ailleurs recherché le livre avant de me lancer dans ce petit récit mais ne l’ai pas retrouvé dans le désordre de l’atelier. Son commentaire m’était apparu comme une œuvre que je devais peindre. Et alors je m’y suis remis, j’étais tout juste en première année de médecine. Mais je n’ai jamais réalisé le projet. Comme s’il fallait qu’il me reste quelque chose à faire. A me relire aujourd’hui je me demande si ce projet jamais commencé n’est pas la source de mon inspiration. Chaque lettre avait sa signification et son commentaire. Le daleth ד, c’était le sang ou le rouge. C’est-à-dire מד (prononcer DAM) en hébreux ; l’homme se dit מדא (prononcer ADAM). Ce qui les différencie tient en une lettre le aleph א, première lettre de l’alphabet. Elle symbolise la vérité ou טמא (prononcer EMET) en hébreux. Mais également tout l’univers comme le αω des grecs qui déterminant le début et la fin de l’alphabet représente l’univers puisque grâce à l’écriture on peut reconstituer l’ensemble des connaissances. En d’autres termes, ce qui permet à l’homme d’advenir et de transformer le rouge/le sang immatériel en sujet vivant, c’est-à-dire à passer de מד à מדא, c’est la recherche de vérité ou א, ou encore la quête de spiritualité. Rouge 2 Cette quête de spiritualité est pour moi une évidence. Non pas qu’il s’agisse de se déterminer comme croyant ou non croyant. Il s’agit pour moi de reconnaitre chez l’humain, cette aptitude à produire, chercher et partager le poétique. Même si notre société favorise voire produit de l’art-spectacle qui confine à l’hystérie collective parfois, au narcissisme le plus creux souvent, le courant poétique résiste car il est consubstantiel de l’humain. Quant le poétique rencontre le beau, alors l’art touche au sublime. Miro quand il révèle la poésie du grand trait rouge siégeant devant les taches noires dans le Bleu II. Villon quand il en appelle à la compassion de l’humain dans la balade des pendues. Puis ça, puis la, comme le vent varie, à son plaisir sans cesser nous charrie… mais priez Dieu que tous nous veuillent absoudre. Krajberg quand il s’insurge devant la disparition de la forêt tropical sous OBSESSIONS COLORÉES 20p.indd 4 23/03/12 11:26
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