les flammes des marchands et qu’il nous montre la beauté des restes calcinés. Lui qui a échappé à la Shoah. Shakespeare quand Timon le reclus qui connut la richesse et les honneurs d’Athènes, partage avec nous ses méditations sur la médiocrité de l’âme humaine. Avec un inconnu cherchant à rendre visite à son fils que son ex ///// OBSESSIONS COLORÉES femme instrumentalisait, quand il m’écrit alors que j’essaie de l’aider, rouge sang, rose beigne, dans un climat que gère le temps… Avait-il lu lui aussi le commentaire de Rav Yehuda Halevi ? Cette rencontre m’avait d’ailleurs permis de reprendre le rouge comme idée constitutive de projets picturaux. La sieste ou le fond de la mémoire est rouge. Réalisé dans les années 90, je voulais rendre comte du plaisir serein de la sieste à grands traits de VID COHEN bleu de Prusse sur fond blanc suggérant ici un œil clos et ses longs cils, là un corps allongé, hypotone, engourdi DA de sommeil. Une tache rouge, éclatante, nous révélait la force des résurgences mnésiques qui dans nos rêves viennent perturber cette tranquille sérénité. Traumas, scories de nos biographies… le rouge s’imposa encore. Toujours dans cette même veine, j’ai aussi proposé au début des années 90, une série à un financement public. C’est ma seule expérience de ce type. En France alors, une politique culturelle incitative nous y invitait. Je voulais transpeindre la période des 10 jours de pénitence. C’est-à-dire la période entre Roshashana (le nouvel an) et Kippour (le grand pardon) pendant laquelle dans le calendrier hébraïque, chacun s’interroge sur ce qu’il a fait, médite sur qui il est, pense être ou devrait être, et s’engage à plus d’humanité. Le projet consistait à peindre après méditation une toile abstraite par jour de pénitence à partir de l’opposition efficace du blanc et du noir, symboles de l’opposition bien/mal, et de rouge Cadmium puissant, très pur en pigment, symbole du tourment de l’âme humaine. Il n’y avait la rien de religieux selon moi, d’ailleurs cette question du retour sur soi, du questionnement intérieur et de la pénitence dépasse largement la seule question du religieux puisqu’elle est omniprésente même dans des philosophies agnostiques. Au-delà de mon âge, de l’absence de professionnalisme dans ma démarche artistique, ou même de la faisabilité du projet, celui-ci fut rejeté car je cite « on ne pouvait – en 1990 – financer de projet à caractère confessionnel ». Je savais que je prenais un risque à présenter les choses sur ce mode. Mais enfin j’étais juif, peu pratiquant… alors les 10 jours de pénitence avaient un sens pour moi. J’aurai aussi pu parler du Carême, du Ramadan, des retraites en tout genre… montrer la généralisation du concept de pénitence pour en faire un invariant acceptable… peut être. Mais je trouvais aussi absurde de voir comment une certaine pensée conventionnelle s’arrogeait à faire croire que l’art du 21eme siècle devait s’affranchir de toutes références religieuses comme ci l’avènement du contemporain se discutait, après le triomphe de la science, par exclusion du religieux. Ces critiques avaient-ils oublié que jusqu’alors le religieux avait été l’une des principales sources de la recherche artistique ? Encore tout récemment, Gaudi réalisait les plans d’une cathédrale ; Braque, Matisse ou Chagall s’attaquaient à des édifices religieux. Mais ce ne sont encore que des artistes modernes. Nous ne sommes pas encore dans le contemporain. Nuances Monsieur ! Ces intellectuels, conservateurs ou critiques, pensent-ils vraiment que la simple provocation de leur cercle établi constitue en soi une œuvre d’art ? Marcel Duchamp qui est souvent cité par les mêmes, à juste titre, comme artiste clé de la transition contemporaine, se gardait bien de parler d’œuvre d’art à tout bout de champ. Bien de ces œuvres aujourd’hui déifié – j’ose le mot – ne sont pour lui que des « gestes d’art ». Avait-il conscience du risque consumériste ? C’est-à-dire du risque de voir apparaître des œuvres répétitions du même comme un produit, une marque à consommer ? De voir disparaître la sculpture, sauf celle qu’autorisent les répliques à l’infini en résine, plastique ou autre matière bon marché achevant définitivement la frontière avec le décoratif ? Avait-il anticipé la disparition de la peinture – qui était presque complète dans les années 90 dans les musées officiels – au profit des performances ou vidéo ? Dans bien des cas, il suffisait de se filmer en train de peindre ou de faire une « œuvre d’art » pour que le film en devienne une aussi. Voila Narcisse qui arrive à grands pas. La vie de l’artiste devient œuvre en soi, son œuvre en toute simplicité. Il n’a plus de question à se poser puisqu’il est une œuvre, même s’il faut tout de même concevoir les prochaines mises en scènes. L’important est de faire du bruit non pas d’offrir du sens. On aboutit à un grand vide le plus souvent même si quelques exceptions heureuses – comme Nan Goldin chez qui montrer sa vie en particulier celle de sa sœur et de sa famille reste un acte poétique – sont à souligner. Rouge 3 Depuis ces premiers pas, une peinture surtout d’aplats colorés à partir de compositions réfléchies, parfois même détaillistes – j’exagère un peu quand même – mon travail a évolué vers une synthèse cherchant à équilibrer couleurs et matières. Je ne suis pas devenu dessinateur – et ne le serait jamais – mais c’est dans la confrontation en couleurs entre elles, entre couleurs et matières que j’essaie de faire surgir ce mouvement poétique dont je parle plus haut. Transformer la matière par la couleur. Réincarner le rebut, le mort par la couleur. Végétaux, ossements, haillons et vêtements… Bleus, rouges, jaunes, ocres, verts, pourpres… Car le rouge est maintenant presque toujours présent. Rouge et jaune quand je veux évoquer la chaleur, la puissance du soleil, la passion, la force de la présence. Rouge et brun quand il s’agit d’inscrire la peinture dans la tectonique, la pierre ; de refroidir cette chaleur incandescente de certains rouges cadmium en le confrontant aux ocres qui tire de lui leurs forces. Rouge et pourpre quand je veux retrouver quelque chose de profond, voire méditatif car, dans ce cas il nous faut toujours un peu de bleu. Mais comme le rouge le réchauffe alors. Pourquoi les indiens de mon enfance surgissaient-ils d’un fond violet ? Avais-je alors aussi besoin sans le savoir de méditer sur ma condition profondément injuste mais aussi que le rouge vienne réchauffer la froideur du bleu, pourtant si sereine ? Car le rouge n’est pas que scorie ou traces traumatiques, il est aussi l’expression des pulsions, celles qui arrivent quand on ne les attend pas, les mêmes qui perturbent notre sommeil ou nos vies mais qui en sont probablement aussi la source. Le rouge c’est tout cela aussi. OBSESSIONS COLORÉES 20p.indd 5 23/03/12 11:26
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